« Vos compétences dépassent les exigences de ce poste, nous avons opté pour un profil plus junior ». Face à cette réponse, l’interrogation surgit naturellement : pourquoi votre expérience constitue-t-elle un obstacle à l’embauche, et pourquoi l’entreprise décide de se passer de vos services, même si le salaire proposé vous convient ? Plusieurs raisons expliquent cette réticence.
De nombreux candidats possèdent un large éventail de compétences qu’ils sont prêts à mettre au service d’une entreprise. Toutefois, il leur est souvent recommandé de modérer la présentation de leurs aptitudes sur leur CV ou durant un entretien, de peur de dissuader les employeurs. Bien que paradoxale, cette situation est courante dans notre pays.
Ludovic, 44 ans, salarié dans le digital, témoigne : « Après une rupture conventionnelle venue de mon employeur, je suis allé au bout de mes deux années de chômage. Puis j’ai été forcé de prendre un job alimentaire. J’ai fini par rebondir sur un coup de chance. Pourtant, j’avais des entretiens toutes les semaines… seul hic 15 ans d’ancienneté dans mon domaine. Soit on me proposait un salaire à peine plus élevé que le SMIC, soit on me répondait que j’avais trop d’expérience. Dans ce dernier cas, je me demandais pourquoi on me faisait venir alors que c’était joué d’avance… »
Pourquoi dissimuler ses compétences ?
On pourrait imaginer que la multiplication des compétences est toujours un plus pour prétendre à un poste. Or, être surqualifié, selon le magazine Forbes est « davantage un risque pour une carrière que l’incompétence. La faute à un management érigeant le respect de l’ordre établi avant toute autre ambition et une incapacité de nos organisations à recruter et valoriser des collaborateurs qui pensent différemment ».
Ludovic poursuit : « Cela m’est aussi arrivé quand j’ai retrouvé un poste coïncidant avec mes compétences. Au bout de plusieurs années, un nouveau manager est arrivé. Il m’a retiré toutes mes prérogatives pour réduire mes tâches à la portion congrue. Il voulait mettre en place sa propre organisation sans tenir compte de l’expérience de chacun. Je suis donc cette fois parti de moi-même… ».
Déjà, en 2014, le magazine Capital s’interrogeait : « Il ne faut jamais oublier qu’un manager est aussi un managé, il a donc lui-même des objectifs professionnels et a besoin d’être bien vu par sa hiérarchie. C’est pourquoi, en cas de recrutement direct par le N+1, des considérations politiques vont venir biaiser l’entretien : et si, au lieu de renforcer ma position, ce candidat allait l’affaiblir ? S’il est vraiment aussi doué qu’il en a l’air, ne risque-t-il pas de me faire de l’ombre ou de remettre en cause ma légitimité ? ».
Quand la science s’en mêle
Un groupe de chercheurs des prestigieuses universités américaines, Stanford, Carnegie-Mellon et Johns Hopkins ont réalisé une série d’études. Dans l’une d’elles, on proposait à 700 recruteurs professionnels de choisir de faux candidats via deux profils LinkedIn fictifs : l’un tout juste qualifié, l’autre plus diplômé et fort d’expériences chez des employeurs prestigieux. Résultat, ils ont majoritairement choisi le moins qualifié des deux.
La raison ? Les employeurs ne disposent pas d’informations précises sur la motivation du candidat surqualifié, pensent qu’il aura d’autres opportunités, qu’il sera plus sollicité… Bref, qu’il sera moins loyal envers l’entreprise.
Mais soyons pragmatiques : et si, finalement, tout ceci n’était qu’une question d’argent, un salarié moins qualifié coûtant moins cher à l’entreprise et, souvent plus jeune, étant plus malléable et plus facile à manager ? On est en droit de se poser la question…
Comment se comporter lors de l’entretien ?
En prenant en compte toutes ces informations, même s’il paraît incroyable que trop de compétences tuent les compétences, il faut bien s’adapter aux desiderata des recruteurs.
En premier lieu, si vous postulez un poste qui requiert des qualifications inférieures aux vôtres, il vous faudra rassurer votre interlocuteur (le manager le plus souvent pour l’entretien décisif). Non, vous ne marcherez pas sur ses plates-bandes. Oui, vous effectuerez strictement le travail pour lequel vous candidatez. Pour résumer, vous ne lui ferez pas d’ombre.
Mais plutôt que d’accepter n’importe quel poste, vous pourrez aussi prendre le temps et vous tourner vers l’entreprise qui ne craindra pas vos compétences et saura voir en vous le potentiel que vous avez à lui offrir.
Matthieu CHAUVIN