Le 6 octobre dernier était « célébrée » la Journée nationale des aidants. Nous utilisons volontairement des guillemets car leur statut en entreprise est loin d’être à la fête, même si la tendance est à l’amélioration. Pourtant, plus de 5 millions de salariés, soit environ 20 % au total, seraient aidants d’un proche en situation de dépendance. Un défi pour les ressources humaines et les office managers.
Les statistiques sont paradoxales. D’après le baromètre 2023* « Aider et travailler » d’Interfacia, premier acteur du management de « l’aidance » pour les employeurs et les salariés aidants, un tiers de ces derniers estiment qu’ils ont été forcés de démissionner pour pouvoir assumer ce rôle (86 % n’ayant eu d’autre choix que de devenir aidant). Dans la même veine, 53 % d’entre eux considèrent qu’il a un rôle négatif sur leur évolution de carrière.
Au contraire, en baisse de 12 points par rapport à 2020, seulement 66 % des salariés pensent qu’il impacte leur travail au quotidien, et ils sont 66 % également à trouver que leur employeur prend mieux en compte leur statut d’aidant, une augmentation de 10 points par rapport au dernier baromètre.
Qui sont les salariés aidants ?
Parmi les 20 % de salariés concernés, 52 % sont des femmes, 48 % des hommes. Ils ont le plus souvent moins de 50 ans, 49 % sont aidants depuis plus de 6 ans (en baisse de 12 points) et 64 % le sont au quotidien, pour un enfant à 36 %, pour un conjoint à 27 %. Ils sont 25 % aider deux personnes ou plus (moins 14 points).
Pour ce qui est de leur présence en entreprise, ils sont 98 % à penser qu’elle doit mettre en œuvre des dispositifs spécifiques aux aidants, tandis que 70 % ne savent pas comment concilier leur statut et leur vie professionnelle. Pourquoi continuent-ils à travailler ? Pour le salaire à 63 %, pour conserver des liens sociaux à 35 %, pour se sentir utile en dehors de leur statut d’aidant à 34 % et pour penser à autre chose à 33 %. Chiffre encourageant, 70 % d’entre eux sont dans la même entreprise depuis 6 ans et plus.
Des conséquences salariales ?
Plus d’un quart (26 %) des salariés aidants sont à temps partiel, un choix subi pour 69 % (en baisse de 7 points). Cela se ressent au niveau des salaires car ils sont surreprésentés dans les catégories inférieures à 2K par an, et sous-représentés dans les catégories supérieures à 3K par an.
Ce que confirme le témoignage d’une salariée aidante qui a souhaité rester anonyme : « J’ai aidé ma maman en fin de vie, ce qui m’a obligée à réaménager complètement mon travail car je ne pouvais plus voyager. Mes revenus ont baissé des trois quarts. La seule chose qui aurait pu m’aider réellement aurait été une compensation financière ».
Les aidants sont 33 % à consacrer entre 500 et 1 000 euros par mois à la personne aidée et 60 % à s’inquiéter pour leur retraite. Seul point positif, ils sont 69 % à déclarer avoir acquis de nouvelles compétences professionnelles grâce à leur statut d’aidant.
Les managers et collègues compréhensifs ?
Le point de vue des managers et collègues est, disons, mi-figue mi-raisin. Ils sont 54 % à voir en l’aidance un impact positif sur la cohésion d’équipe (moins 10 points), et 45 % (un chiffre multiplié par deux) à trouver que cet impact est aussi positif sur leur propre organisation de travail. Ils sont 70 % à constater que les salariés aidants ont acquis de nouvelles connaissances, comme la gestion des priorités, l’organisation du temps et l’efficacité.
En revanche, ils sont 80 % à trouver qu’il est négatif en ce qui concerne l’organisation du travail au sein de l’équipe…
Les ressources humaines à l’écoute ?
Les ressources humaines sont sollicitées à 47 % sur le sujet, dont 34 % par des managers. Mais l’aidance est une préoccupation encore lointaine dans les entreprises. En effet, si 64 % de responsables RH affirment avoir mis au moins une action en place pour les salariés aidants, ils sont 59 % à admettre que la problématique ne fait pas partie du dialogue social de l’entreprise. Ils sont aussi 40 % à ne pas savoir comment l’appréhender, 33 % à ne pas savoir que les salariés aidants sont 20 % en France et 63 % à ne pas savoir que cela concerne 1/3 de leurs effectifs…
« Si l’aidance s’inscrit déjà dans le dialogue social des branches, elle a tout intérêt à s’inscrire davantage dans celui des employeurs. Ces derniers pourront ainsi non seulement anticiper les éventuelles conséquences négatives, mais également se saisir des effets positifs en matière de compétences nouvelles et d’amélioration du climat social, sans oublier l’impulsion d’innovations managériales favorisant la performance des équipes. En effet, ce dernier point est particulièrement pertinent à prendre en compte, puisque l’aidance ne concerne pas seulement les salariés aidants, mais également les collègues et managers de ces derniers. Se saisir pleinement du sujet permet de dépasser le prisme de la contrainte pour le traiter comme une opportunité organisationnelle et managériale favorable à la pérennité et au développement de l’entreprise », souligne Gabrielle Guèye, Fondatrice d’Interfacia.
Les aidants de plus en plus nombreux ?
S’ils sont 20 % aujourd’hui à être salariés aidants, ils seront un quart, soit 5 millions de plus d’ici 2030, selon le docteur Hélène Rossinot, qui se définit comme « médecin des aidants ». Autrice du livre Ma famille, mon job et moi, les clés pratiques d’un médecin à ceux qui aident un proche qui vient de paraître aux éditions Robert Laffont. Elle appelle les RH à « accompagner, soutenir, écouter » le personnel devant faire face à cette situation. Plus de 70 % de salariés pensent devenir aidants dans les 5 ans à venir !
« Le maintien dans l’emploi des salariés aidants est aujourd’hui un enjeu crucial. L’exercice d’une activité professionnelle constituant une véritable bulle de décompression, qui vient contrebalancer une vie personnelle plus difficile. Pour assurer le maintien dans l’emploi, il est nécessaire de sensibiliser à la prise en charge des fragilités l’ensemble des acteurs de l’entreprise, à savoir la direction, les ressources humaines, les managers et les collaborateurs et d’accompagner la mise en place de dispositifs concrets pour faciliter le quotidien des salariés aidants », constate Christine Lamidel, Fondatrice et Directrice générale de Tilia, start-up dédiée aux aidants.
Matthieu CHAUVIN
*Réalisé entre le 5 avril et le 16 juin 2023 auprès de 506 répondants (salariés avec et sans emploi, collègues de salariés aidants, manager aidants et/ou de salariés aidants, RH et RP).