Du jour au lendemain, en mars 2020, le confinement décrété par les pouvoirs publics plonge des millions de personnes dans le télétravail. L’espace familial se transforme en bureau, les repères temporels se brouillent, la maîtrise des outils numériques devient quasi indispensable pour assurer ses activités.
Au travers de plus de cinquante récits de travail recueillis par « La compagnie Pourquoi se lever le matin ! », le sociologue François Granier, spécialiste des métiers de l’assistanat et du secrétariat, analyse les innovations qui ont émergé, les nouvelles formes de relations socioprofessionnelles qui se sont nouées, mais aussi les valeurs mobilisées pour redonner du sens au travail. Il répond à nos questions au sujet de son livre à paraître ce mois-ci : le travail à l’épreuve de la pandémie, scénarios pour demain.
Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a poussé à vous lancer dans ce livre ?
En 2020, j’ai été approché par la « La compagnie Pourquoi se lever le matin !» qui m’a proposé de travailler avec ses autres membres — psychologues, enseignants, ergonomes, ingénieurs… — sur le sujet de la pandémie et des transformations qui allaient s’opérer dans le monde professionnel. Nous avons réalisé un certain nombre d’entretiens entre 2020 et 2022, cinquante-cinq précisément. J’ai proposé à l’issue de ce travail de recherche de regrouper l’ensemble des informations recueillies dans un ouvrage où je livrerai mon analyse et proposerai des solutions, des scénarios d’avenir.
Mon objectif est d’aider à comprendre ce qui s’est passé avec la pandémie et en quoi cela a transformé définitivement le travail des assistantes, et des autres métiers. Il s’agit donc de porter un regard sur le passé pour éclairer l’avenir. J’évoque le nécessaire repositionnement des assistantes au sein des entreprises.
Qu’entendez-vous par repositionnement ?
La pandémie a eu un effet de loupe et a été révélatrice de problèmes latents. Dès le début de la crise, les assistantes ont pu continuer à exercer en télétravail et elles ont pour la grande majorité d’entre elles trouvé cela formidable ! Ce fut révélateur d’attentes sociales qui n’étaient jusqu’ici pas satisfaites : notamment du besoin de rééquilibrer la vie personnelle et professionnelle. En travaillant depuis chez soi, il semble plus facile de redonner plus de place à la famille.
Mais le travail à distance a eu des conséquences en cascade, il a rebattu les cartes au point que nous ne reviendrons pas en arrière. La semaine hybride est désormais rentrée dans les mœurs, mais les équipes ne sont pas toutes posées la question de la meilleure façon de l’organiser, du moyen d’articuler au mieux le travail et le hors travail. C’est là que les assistantes ont un rôle majeur à jouer : elles participent structurellement à la vie de l’entreprise, à l’organisation du service. Elles doivent donc aider leurs dirigeants à lancer au plus vite des discussions sur le sujet du travail hybride pour éviter que leurs entreprises ne souffrent rapidement d’éclatement, de déliaison.
Le risque majeur est que la frontière entre le travail et la vie personnelle n’existe plus. Combien de personnes ont ainsi été piégées et finissent leurs journées en télétravail à 23 h ? Il y a là une fausse liberté, une absence flagrante de règles. Cela ne peut pas continuer ainsi.
Comment envisagez-vous l’avenir des assistantes ?
Nos divers entretiens nous ont permis de confirmer deux grandes tendances. D’une part, les métiers du secrétariat et de l’assistanat ne se développent quantitativement et qualitativement que si les personnes prouvent qu’elles peuvent apporter une valeur ajoutée à l’entreprise : des compétences techniques relatives aux fondamentaux du métier, à la comptabilité, la santé au travail, le droit social… mais aussi des compétences personnelles, des savoir-faire. Les assistantes doivent donc valoriser leurs compétences pour continuer à évoluer.
D’autre part, la dimension relationnelle du métier a pris énormément d’ampleur depuis l’apparition des intelligences artificielles, de la dématérialisation à tout va, des chatbots… Aujourd’hui, plus que jamais, les entreprises ont besoin d’humain et cela passera inévitablement par les assistantes. Dans les différents scénarios que je traite, certains mettent en avant la culture d’entreprise, d’autres les rites ou encore les interactions. À chacun de choisir et de se positionner afin de redonner un véritable sens à son travail.
Propos recueillis par Elisabeth DUVERNEY-PRET
Le travail à l’épreuve de la pandémie Scénarios pour demain, François Granier, Éditions Raison et Passions, 15 €
François Granier a travaillé pendant des années au sein de l’observatoire des métiers de la FFMAS. Il est chercheur associé au Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Économique (LISE). En 2020, il a rejoint la « Compagnie Pourquoi se lever le matin ! »