Il y a encore 10 ans, rares étaient les assistantes à prendre la tangente pour devenir « leur propre patron ». Ces pionnières, quelques centaines en 2010, environ 3 000 en 2017*, ont ouvert la voie à l’afflux de nouveaux candidats à l’indépendance, principalement des femmes, porté par le contexte sanitaire et social de 2020, la généralisation du télétravail, la digitalisation des process et une plus grande facilité à créer sa boîte. Si bien qu’aujourd’hui, quantifier ces acteurs de manière fiable est devenu compliqué, le métier touchant pléthore de secteurs d’activité, et précisément de codes NAF (ou APE) délivrés par l’Insee.
Selon l’ADNT, il y aurait un potentiel de 10 000 secrétaires indépendantes en France*, ventilées dans un référentiel bardé de spécialités : traduction, retranscription, secrétariat, sténo, gestion d’entreprise…, plus qu’il n’en faut pour qualifier une offre de prestations, et tenter de cadrer un champ d’action intrinsèquement varié. « Cette difficulté tient également du fait que la profession ne dispose pas de sa propre branche professionnelle, mais en touche plusieurs à la fois », précise Carole Feuga, cheffe d’entreprise de support administratif externalisé Estela Solutions et copilote de la communauté Entrepreneuriat de la FFMAS, un réseau qui représente depuis 2015 les entreprises indépendantes des métiers du secrétariat et de l’assistanat.
Des motivations multiples
Tendance de fond ou effet de mode, cette montée en puissance des télésecrétaires, office managers, secrétaires à domicile, assistantes virtuelles…, impulse une dimension nouvelle à l’assistanat indépendant, accessible sans grande contrainte avec des coûts de démarrage relativement faibles.
Pour autant, créer une structure en un clic n’a rien d’anodin, poursuit Carole Feuga, qui regrette un déficit général de préparation dans les démarches entrepreneuriales. « La facilité à s’inscrire en tant qu’autoentrepreneur, sans obligation de formation, encourage une dispersion d’informations et de questions importantes, notamment juridiques, qui posent la limite de l’exercice. Nombre d’assistantes ne prennent pas la mesure de leur projet, pour lequel un accompagnement est essentiel pour en assurer la viabilité ». Vision à long terme, solidité du business model, adaptabilité… l’entrepreneuriat ne s’improvise pas, sous peine d’entamer sa crédibilité, celle de ses clients et de la profession tout entière.
Saisie, démarches administratives, permanence téléphonique, secrétariat juridique, gestion de projet, RH, community management, etc., les assistantes sont ainsi de plus en plus nombreuses à miser sur leur expérience pour se mettre à leur compte, à domicile ou sur site, à temps plein ou partiel.
Licenciement économique, événement personnel, équilibre vie pro/vie perso ou quête de sens… les catalyseurs sont multiples. « La démarche des personnes qui se forment à mes côtés est souvent motivée par la recherche de reconnaissance professionnelle, une certaine lassitude du salariat et la facilité d’installation, témoigne Manon Guilloteau, assistante administrative et gestion commerciale depuis 2014. Pour ma part, si l’indépendance collait à ma personnalité, c’est la volonté de gagner en compétences et en polyvalence qui a été mon moteur, ainsi que l’identification d’un besoin croissant des entreprises ».
Un mot-clé : valeur ajoutée
L’externalisation, ou outsourcing, des fonctions support n’est en effet plus à la marge des pratiques, soutenue par les nouvelles technologies nomades, la culture du télétravail et l’essor des prestations de service. TPE, PME, professions libérales, start-up… de toute taille et tout secteur, ces organisations recherchent à la fois les économies d’échelle qu’à se délester d’un volume de tâches périphériques, faire face à un surplus d’activité, s’appuyer sur un expert pour gagner en temps et en réactivité.
« Déchargées de la paperasse, elles peuvent se concentrer plus sereinement sur leur cœur de métier et in fine, gagner en performance et en productivité », observe Manon Guilloteau, galvanisée par la diversité de ses missions. « Ce qui me plait, c’est la rencontre avec différents chefs d’entreprise et la pluralité des interventions, pour lesquelles la polyvalence et l’adaptabilité sont primordiales. Selon moi, pour qu’une collaboration soit fructueuse et pérenne, elle doit être basée sur l’efficacité, la confiance et la valeur ajoutée ».
Non négociable face à des clients qui ont des exigences élevées dans certaines tâches de gestion courante, cette valeur ajoutée est également le reflet d’une posture de responsable essentielle dans la relation client/prestataire. Une question sur laquelle l’assistante indépendante est invitée à se positionner, sous peine de reproduire malgré elle un lien de subordination propre au salariat.
« Beaucoup d’entre elles se retrouvent face à des clients qui recourent au freelance pour ne pas subir les contraintes d’embauche d’une personne salariée, ou pour exécuter des tâches sans définir au préalable un besoin global, observe Ludovic Michel, gérant de l’entreprise d’assistanat administratif Lumis Services et animateur de la branche Entrepreneuriat de la FFMAS aux côtés de Carole Feuga. En tant que cheffe d’entreprise, l’assistante doit s’émanciper de cette position hiérarchique, imposer son savoir-faire et sa dimension de conseil. Sur sa partie, c’est elle qui drive ».
Une adaptabilité permanente
Pour Catherine Galletti, dont l’activité en indépendante s’étend du secrétariat traditionnel à l’organisation d’événements en passant par la modération de forum, l’expérience, la connaissance du monde de l’entreprise et une certaine épaisseur de la posture professionnelle sont, en effet, indispensables pour se lancer, tirer son épingle du jeu, anticiper et s’adapter à des demandes variées.
« Il existe deux sortes de clients : ceux qui restent très attachés au papier, aux impressions, aux dossiers… et ceux qui sont à l’aise avec les nouvelles méthodes de travail en ligne. De moins en moins locaux, pilotant des équipes de plus en plus jeunes, ils sont en recherche constante de nouveaux outils et de rapidité. Je travaille même avec un dirigeant de start-up qui recrute uniquement des compétences, quel que soit le continent où elles se trouvent ».
Au regard de ces témoignages, les indépendants ont tout intérêt à se former continuellement, à appréhender les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et développer une véritable agilité de travail. Un avis que partage Nathalie Jachimiak, indépendante depuis juillet dernier, après 23 ans passés en entreprise en tant qu’assistante administrative et commerciale spécialisée export. « Quand on est salariée, on s’adapte uniquement aux outils de l’entreprise. Mais en tant qu’entrepreneur, plus on a de clients, plus il y a de process différents ». Création d’un site Internet, apprentissage des outils organisationnels, référencement en ligne… « Ces recherches m’ont pris énormément de temps, mais sont essentielles pour être légitime et efficace. Nous vendons de l’organisation avant tout ! »
Porter les valeurs de la profession
Aux commandes de son navire, Nathalie le reconnaît : « L’indépendance, c’est avoir le mental, être capable de se former seule, travailler seule, prendre ses responsabilités et les assumer. Nous n’avons pas du tout la même charge mentale qu’un salarié. » Nouveau statut oblige, cette notion n’est pas forcément acquise pour tout le monde, note Carole Feuga, dont la mission à la FFMAS consiste aussi à sensibiliser les assistantes sur la responsabilité qui leur incombe en matière juridique et informatique.
« En distanciel ou sur site, il y a des points de vigilance, de déontologie et des règles à respecter dans le traitement de milliers de données et dans le cadre du RGPD, intrinsèque au métier de l’assistante. En tant qu’indépendante collaborant avec des sociétés réglementées, elle en est responsable, vis-à-vis de sa structure et de ses clients. »
Préambule à la prospection, la négociation et la fidélisation client, incontournables du savoir-faire commercial, le temps passé à concevoir, viabiliser son projet et définir une image de marque qualitative seront des prérequis indispensables à son succès, explique Manon Guilloteau, qui a traduit son expérience d’assistante et de formatrice chevronnée dans un guide complet pour se lancer (voir encadré). « Face à tous ces défis, s’appuyer sur un réseau peut s’avérer judicieux pour échanger, se rencontrer, se prémunir des risques du métier, développer une ouverture d’esprit, appréhender de nouveaux outils et des méthodes de travail…, mais surtout bénéficier d’un soutien tout au long de la vie de son entreprise. »
Car si elle représente un levier utile pour s’installer, prendre le pouls du marché et tester son activité, la microentreprise ne doit pas pour autant être considérée comme une fin en soi, mais comme une étape vers un avenir florissant, conclut Carole Feuga : « Désormais, il faut rêver, grandir, rejoindre les rangs des consœurs et confrères qui ont réussi, qui participent à professionnaliser le métier et à porter ses valeurs. »
*Source Association Nationale pour le Développement du Télétravail (ADNT), extraite de l’étude Marché du télésecrétariat en France : chiffres clés et statistiques.
Stéphanie SANTERRE
3 questions à la FFMAS Entrepreneuriat
Créée en mars 2015, la FFMAS Entrepreneuriat vise à regrouper et animer les secrétaires-assistant.e.s exerçant en statut indépendant, au sein d’une même fédération nationale représentative des métiers du Secrétariat-Assistanat. Focus avec Carole Feuga et Ludovic Michel, copilotes de la communauté.
Quelle est la force et la vocation de la FFMAS Entrepreneuriat ?
L.M. : Le réseau offre une veille constante sur l’actualité métier et apporte, par son expertise, un accompagnement éducatif sur un vaste champ de points de vigilance, d’informations techniques et légales. Nous sommes garants de la fiabilité des informations à la source, diffusées à nos adhérents sur une plateforme dédiée. Durant les temps d’échange, nous abordons des questions de fond et de terrain et soulevons des problématiques sous-jacentes qui les concernent directement.
Quid de l’accompagnement des adhérents ?
C.F. Adhérer à notre communauté, c’est aussi participer à des ateliers animés par des adhérentes volontaires, devenues expertes sur une variété de sujets grâce à l’accompagnement du réseau FFMAS, mais également des intervenants extérieurs (représentants de l’Ordre des experts comptables, ou Ordre des avocats, etc.). Les ateliers donnent des clefs essentielles aux personnes investies pour adopter une bonne posture de travail et comprendre l’évolution professionnelle et technique de notre métier.
Pourquoi une charte de déontologie ?
L.M. : Cette charte de déontologie récemment publiée, ainsi que le dossier mis en œuvre avec la Bpi*, sont le fruit de travaux engagés depuis quelques années avec les autorités représentatives des professions réglementées, telles que l’Ordre des experts comptables, l’Ordre des avocats de Paris (CRED) ou encore l’Autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information (ANSSI). L’objectif est de cerner rigoureusement les limites légales de notre métier vis-à-vis de la comptabilité, du droit ou du conseil juridique, des activités récurrentes qui peuvent le cas échéant engendrer la responsabilité des entrepreneurs.
*Se lancer dans le secrétariat indépendant
Consultez la charte de déontologie de l’assistant.e / secrétaire / office manager entrepreneur.e
Secrétaire indépendante en exercice, passionnée par son métier, Manon Guilloteau forme depuis 2020 des porteurs de projets souhaitant exercer cette activité. Elle publie aujourd’hui son premier ouvrage, un guide qui aborde toutes les questions liées à l’installation en tant que secrétaire indépendant.e. Méthodologie, conseils, retour d’expérience, outils prêts à l’emploi…
Devenir secrétaire indépendant.e – Guide complet et pratique pour se lancer
Manon Guilloteau,
éditions du Puits fleuri. 24 euros.
Publié le 23 février 2023.