Les nouveaux mots du boulot : quand le bureau se réinvente en langage

Quand le jargon devient miroir du changement

Il fut un temps où l’on découvrait son métier à travers des fiches de poste soigneusement imprimées. Aujourd’hui, c’est sur les réseaux sociaux, dans les open-spaces ou au détour d’un team building que circulent les nouvelles expressions du monde pro.

Ces mots ne sont pas anecdotiques : ils évoquent un rapport au travail qui s’est profondément transformé en quelques années, notamment depuis la pandémie. Flexibilité, quête de sens, équilibre personnel et rapport au collectif y découvrent un vocabulaire inédit, souvent teinté d’humour et d’auto-dérision.

FOMO, Hustle Culture et 996 : le revers ultra-connecté du travail moderne

Le « FOMO », ou « Fear Of Missing Out », illustre notre peur constante de noter une information, une opportunité de carrière ou un moment stratégique. Dans la vie de bureau, c’est ce collègue hyperconnecté qui ne décroche jamais, surveillant Slack et Teams même le week-end.

Dans la même veine s’inscrit la « Hustle Culture » : une glorification de la performance permanente, de l’activité sans relâche, où l’on doit « hustler » pour réussir. Le travail devient un culte, et le repos presque une faute morale.

Son équivalent plus radical encore ? Le phénomène « 996 », très répandu dans les grandes entreprises chinoises : travailler de 9 h à 21 h, six jours sur sept. Un rythme qui fait débat à l’international, souvent établi comme modèle d’efficacité, mais décrié pour son coût humain.

Le Jeudredi, les Tracances et le Blurring : le brouillage des frontières

Sous des airs détendus, ces mots révèlent la recherche d’équilibre entre travail et vie perso. Le « Jeudredi », mix entre jeudi et vendredi, est devenu un symbole de convivialité professionnelle. On y retrouve la légèreté d’un afterwork, l’envie de team building, le rituel d’un moment moins formel entre collègues. Il traduit le besoin de détente avant le week-end.

Les « Tracances », contraction de « travail » et « vacances », incarnent quant à elles une tendance accélérée par le télétravail : travailler depuis un lieu de villégiature, alliant productivité et détente. Mais attention, cette pratique, séduisante sur Instagram, peut aussi conduire à un « Blurring » total : cette dissolution progressive des frontières entre sphères professionnelles et personnelles. Quand la plage devient bureau, difficile de vraiment déconnecter.

Coffee Badging, Quiet Quitting et WorkTok : les codes du travail socialisé

Autre signe des temps : le rapport symbolique à la présence et à l’engagement. Le « Coffee Badging » illustre cette stratégie douce du collaborateur moderne : se rendre au bureau, blaireau, boire un café avec son équipe, puis repartir discrètement continuer sa journée ailleurs. Une manière de cocher la case « présence » tout en conservant la liberté d’organisation chère au télétravail.

Face à la surenchère de performance, certains adoptent une attitude inverse : le « Quiet Quitting ». Ce concept, popularisé sur TikTok, consiste à faire le strict minimum, sans s’impliquer émotionnellement. Pas une démission officielle, mais plutôt un retrait symbolique, une forme de résistance silencieuse contre la sur-sollicitation.

Enfin, « WorkTok », contraction entre « work » et « TikTok », représente l’expression la plus virale du travail : une communauté où salariés, freelances ou managers partagent anecdotes, astuces et frustrations en vidéo. Le bureau 2.0 est devenu un spectacle à ciel ouvert, entre autodérision et confession numérique.

Slasher, Trallarder, Nomad Worker : les travailleurs caméléons

Le terme « Slasher » s’impose désormais comme un statut à part entière. Être « assistante/photographe/community manager » n’a plus rien d’étonnant : c’est même devenu une richesse. Ces profils multipotentiels revendiquent la diversification comme une forme d’épanouissement.

Vient ensuite le « Trallarder », mot inventé à partir de « voyageur » et « collaborateur ». Ces travailleurs nomades digitalisent leur poste et collaborent depuis n’importe où : un avion, un café, un espace de coworking au Portugal. Le travailleur sans frontières n’est plus une exception mais une aspiration répandue.

Certains vont plus loin encore avec le concept de « Digital Nomad », devenu une véritable identité lifestyle, faite de liberté géographique et de connectivité permanente.

 Stalker, Ghosting et autres dérives du travail social

Mais les nouvelles pratiques ont aussi leurs revers. Le « Stalker », dans sa version corporate, désigne ce collègue ou manager qui surveille les profils LinkedIn, les présences Teams ou les statuts en ligne. Une forme de micro-contrôle insidieux, révélateur d’une perte de confiance.

Autre dérive : le « Ghosting » au travail, cette tendance à disparaître du jour au lendemain d’un processus de recrutement… ou d’un poste en télétravail, sans prévention. Une conséquence du déséquilibre entre attentes et engagement, mais aussi du manque de dialogue.

Un vocabulaire vivant pour un monde mutable

Ces mots ne sont pas que des effets de mode. Ils témoignent d’une époque en quête d’équilibre : plus mobile, plus numérique, plus consciente de la fatigue mentale. Le vocabulaire du travail n’a jamais été aussi parlant, aussi personnel. Il évolue au même rythme que nos identités professionnelles : hybrides, multiples, parfois contradictoires, mais toujours inventives.

Et si, finalement, ces nouveaux mots étaient une manière de redessiner le sens du mot « travail » ?

Laura TORTOSA