Le pragmatisme, une philosophie de l’action
Le pragmatisme, né aux États-Unis à la fin du XIXe siècle avec Charles Sanders Peirce, William James et John Dewey, propose une idée simple et radicale : la vérité d’une idée se mesure à ses conséquences pratiques. Autrement dit, une affirmation n’est « vraie » que si, lorsqu’on agit en fonction d’elle, elle produit les résultats attendus. Ce n’est pas l’élégance théorique d’un concept qui compte, mais sa capacité à fonctionner dans la réalité.
John Dewey, figure majeure du mouvement, résumait ainsi la démarche : il ne s’agit pas de contempler le monde, mais de le transformer, d’expérimenter, d’ajuster ses croyances à l’épreuve des faits et de l’expérience vécue. Le pragmatisme n’est donc pas un scepticisme mou, mais une méthode d’enquête fondée sur l’action, le test, la vérification concrète.
No bullshit : l’exigence de résultats
L’expression « no bullshit » incarne cette exigence de vérification. Face à la prolifération du « bullshit », ces discours qui prétendent tout et son contraire, sans souci de la réalité ni de la véracité, le pragmatisme propose un antidote : ne croire que ce qui résiste à l’épreuve des faits, refuser les doctrines et les dogmes qui ne produisent rien de tangible.
Comme le rappelle la philosophe Sandra Laugier, le pragmatisme n’oppose pas l’action brute à la connaissance pure, mais cherche à résoudre la tension entre les deux : il fonde la vérité sur « les résultats » plutôt que sur l’autorité ou la spéculation. Ce n’est pas une mentalité « vulgaire », mais une exigence de clarté et d’efficacité, qui irrigue aussi bien la science que la vie quotidienne.
La méthode pragmatiste : tester, ajuster, recommencer
Concrètement, la démarche pragmatiste suit un cycle :
- Formuler une hypothèse ou une croyance.
- Agir en fonction de cette hypothèse.
- Observer les résultats produits.
- Ajuster sa croyance en fonction des succès ou des échecs rencontrés.
C’est le principe même de la méthode scientifique : une théorie n’est acceptée que si elle permet de prédire et d’expliquer des phénomènes observables, et elle est toujours provisoire, susceptible d’être révisée à la lumière de nouvelles expériences. Le pragmatisme s’étend ainsi à tous les domaines : politique, éthique, économie, éducation.
Du bullshit au pragmatisme : une question de responsabilité
Le « bullshit », selon le philosophe Harry Frankfurt, se caractérise par l’indifférence à la vérité : il ne s’agit pas de mentir, mais de parler sans se soucier de la réalité, de multiplier les promesses, slogans ou platitudes sans engagement envers les faits. Le pragmatisme, à l’inverse, oblige à prendre ses responsabilités : si l’on affirme quelque chose, il faut être prêt à en tester la validité, à en assumer les conséquences, à corriger le tir si l’expérience le dément.
Certains reprochent au pragmatisme de verser dans le « court-termisme » ou le relativisme, en réduisant la vérité à ce qui « marche » ici et maintenant. Mais ses défenseurs y voient au contraire une humilité salutaire : reconnaître que toute connaissance est provisoire, que l’erreur est possible, et que la seule façon d’avancer est de confronter sans cesse nos idées à la réalité. Agir, tester, vérifier, corriger et ne jamais confondre la beauté d’un discours avec l’efficacité d’une action. C’est là, peut-être, la science du réel et la clé d’une pensée authentiquement moderne.
Laura TORTOSA