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Le blues de l’assistante sous les tropiques
9 h 30, Cayenne en Guyane. À 7 000 kilomètres de Paris, la ville s’éveille sous un soleil déjà brûlant. Le sable jaune s’invite sur les trottoirs, l’île du Diable découpe sa silhouette sur les flots turquoise. Ici, la nature règne, brute et préservée. Mais derrière ce décor de carte postale, la réalité est tout autre.
La journée commence bien avant que le café ne refroidisse. Il faut courir, vérifier si la commande expédiée de métropole est enfin arrivée, s’assurer que la connexion internet, capricieuse, tient bon. Les imprévus s’enchaînent, les délais s’étirent. Être assistante en outre-mer, c’est jongler avec les urgences, anticiper l’imprévisible, composer avec la distance et l’isolement.
Des parcours semés d’embûches, loin des idées reçues
Dans ces territoires d’Amérique du Sud ou des îles de l’océan Indien, la formation n’est pas un luxe, mais une nécessité. Les parcours professionnels s’inventent, se réinventent, portés par une volonté locale de retenir les talents. Pourtant, accéder à certaines spécialisations relève du parcours du combattant : la plupart des organismes plafonnent au bac+3, et l’e-learning, s’il ouvre des portes, exige discipline et sacrifices sur le temps personnel.
Loin des clichés de plages et de cocotiers, la vie professionnelle en outre-mer se construit au prix d’une organisation millimétrée et d’une ingéniosité sans cesse renouvelée. Prévoir l’imprévu, transformer chaque obstacle en opportunité : telle est la routine. Au fil des années, les départements ultramarins investissent dans la formation, adaptent leur offre, cherchent à garder leurs diplômés sur place.
Mais chaque matin, à Cayenne, Saint-Denis ou Fort-de-France, une certitude demeure : ici, être assistante, c’est relever chaque jour le défi de l’excellence dans un environnement où rien n’est jamais acquis d’avance.
Carte postale ?
Imaginez, le soleil tape sur les toits de Cayenne, la mer murmure au loin. Mais derrière cette carte postale, Muriel Lewis, assistante de direction et responsable communication dans une filiale guyanaise du groupe SUEZ se souvient d’un tout autre paysage. Son histoire débute sur les bancs d’une école de Guyane, là où le choix était mince « à l’époque, nous n’avions que le baccalauréat G1, avec beaucoup de matières classiques comme les maths, le français… Moi, je voulais un bac pro, mais ça n’existait pas. Alors, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis partie en métropole pour continuer mes études. »
Quitter sa terre natale pour espérer un avenir à la hauteur de ses ambitions : un défi partagé par près de la moitié des 87 900 bacheliers d’outre-mer, contraints de formuler des vœux en métropole, faute de formations sur place. Un passage obligé, alors qu’en métropole, 2,9 millions d’étudiants n’ont pas à envisager un tel déracinement.
À La Réunion, Stéphanie Leble, assistante de direction dans un bureau d’étude à La Réunion a eu la chance de rester auprès des siens. Mais même pour elle, le parcours n’a rien eu d’évident ; « pour devenir assistante de direction, j’ai fait un BTS assistante de gestion en alternance dans un centre de formation privé à la Réunion. » À l’époque, l’offre était restreinte, obligeant à des détours parfois longs et sinueux.
Le vent tourne, cependant. Depuis quelques années, la Réunion prend conscience de l’importance de garder ses talents sur l’île. « On propose maintenant des formations courtes, adaptées et ciblées aux réponses d’appel d’offres », assure Stéphanie.
Résultat, la Réunion se hisse parmi les départements français qui retiennent le plus leurs diplômés. Selon l’INSEE, parmi les actifs de 18 à 59 ans diplômés du supérieur, 41 700 sont nés sur l’île et y vivent, contre 18 000 qui ont dû s’installer ailleurs.
Se spécialiser : un défi de taille
Mais une fois les études terminées, l’envie d’apprendre ne s’arrête pas là. En effet, « Quel que soit le métier, on ne finit jamais d’apprendre », affirme Muriel. Les spécialisations professionnelles deviennent alors une étape naturelle. Depuis 2019, la plateforme France Compétence tente de répondre à cette soif de formation. Pourtant, dans les territoires d’outre-mer, l’offre reste maigre et cela a été le cas pour Muriel.
« J’ai voulu me former pour obtenir certains diplômes, mais malheureusement, je ne peux pas le faire localement. Il n’y a pas d’organisme qui va au-delà du bac +3, je suis bloquée. Soit je vais à l’université, mais il faut arrêter de travailler, soit je tente l’e-learning, mais ce n’est pas évident pour tout le monde. Ça prend du temps, souvent le soir ou sur nos temps libres. »
D’autres, comme Stéphanie, trouvent des parades, comme la VAE, mais regrettent ; « l’offre reste faible, elle ne répond pas vraiment à la demande. »
Quand la distance devient un obstacle quotidien
Au-delà des diplômes, c’est la vie de tous les jours qui se complique. L’éloignement géographique, souvent banalisé, pèse lourd sur l’organisation du travail. Alors, il faut apprendre à composer avec ce rythme comme l’a appris Stéphanie ; « je sais qu’il faut compter un mois de délai. Je préfère tout prévoir à l’avance, au risque de me faire rattraper par le temps. » Beaucoup espèrent qu’un jour, leurs réalités seront mieux comprises, pour éviter d’avoir à s’adapter sans cesse à des contraintes qui leur échappent.
Derrière les paysages de rêve, les assistantes d’outre-mer avancent avec courage, patience et ingéniosité. Leur histoire, c’est celle d’un combat quotidien pour l’égalité des chances et la reconnaissance de leurs défis, bien loin des clichés.
Une enquête Assistant(e) Plus
Entre inégalité et embûches quotidiennes
- Bien qu’elles représentent plus de 4 % de la population française, les personnes nées aux Antilles ou à la Réunion ont 20 à 25 % de chances en moins d’obtenir un diplôme supérieur et 12 % en moins d’accéder à un emploi.
- Ce qui contribue à la réputation des territoires et départements d’outre-mer est leur emplacement, souvent bien éloigné de la métropole. Bien que cela soit commun et acquis depuis des centaines d’années, cette distance reste tout de même peu prise en compte dans le monde du travail et notamment de l’assistanat.
- En outre-mer, l’ensemble des métiers de l’assistanat se heurte à des infrastructures souvent défaillantes qui compliquent leur quotidien. Les réseaux numériques et de communication sont fréquemment instables, limitant l’efficacité des démarches administratives, du suivi à distance et de la coordination entre intervenants. Les structures d’accueil et de travail sont régulièrement sous-dimensionnées face à une démographie dynamique et à la complexité croissante des problématiques sociales, ce qui entraîne une surcharge de travail et des délais d’intervention rallongés. Le manque de moyens matériels, l’obsolescence des équipements et la difficulté d’accès à la formation ou au recrutement local aggravent la situation, obligeant de nombreux professionnels à faire preuve d’une grande polyvalence et à gérer une forte pression émotionnelle et organisationnelle.
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